© Cédrick Eymenier 1999-2024

Maxime Thieffine

Cédrick Eymenier présente ses photographies du tissu urbain où le regard se perd entre la séduction des surfaces de carrosseries automobiles et les compositions de vitrines. Une promenade du point de vue qui ouvre sur une vision cubiste de la ville contemporaine.

Texte de Maxime Thieffine, pour Paris Art.com
Texte publié à l'occasion de l'exposition "Reflexion" Cédrick Eymenier, à la galerie Jean Brolly, Paris, 2007.

Le second espace de la galerie Jean Brolly présente pendant plus d'un mois les photographies du jeune Cédrick Eymenier. A la dizaine de tirages encadrés s'ajoutent une cinquantaine de tirages sous plastique transparent, laissé en libre consultation dans des boites ouvertes.

Cette densité d'images dans un si petit espace renvoie à la pratique même de l'artiste qui consiste à saisir l'image dans les flux urbains. On l'imagine aisément marchant (à Paris et dans les grands capitales mondiales) et s'interrompant régulièrement pour saisir un reflet sur une carrosserie, une surface colorée, un agencement de couleur, une mise en scène dans une vitrine. Dans la lignée des Benjamin et Breton, il traverse le paysage urbain en quête d'un objet de désir démultiplié et insaisissable. Marche et arrêt pour la prise de vue : ce cinéma au ralenti, documente la ville mais y fixe plus profondément des troubles de la vision, des perturbations optiques et l'émerveillement de trouver "naturellement" des images toutes prêtes.

On pourrait classer ses photographies en divers séries, les vitrines de magasins (dans la lignée de Lee Friedlander), les carrosseries de voitures, le végétal dans l'urbanisme, le calme des espaces vidés (qui évoque Stephen Shore). Son imaginaire des centres villes n'est pas du tout sociologique, fantastique ou architectural. Ces images sont ensoleillées au point de jouer avec la platitude ambiguë des peintures hyper réalistes de Richard Estes entre autres. La richesse des textures, les échos de couleurs d'une forme sur l'autre, les surimpressions dues aux reflets vitrés brouillent la vision entre figuration et abstraction.

La surface de l'image fusionne avec celle du réel, en véritable fétichiste (celui qui met un voile devant l'objet réel et qui fixe son désir justement sur cet obstacle), il confond l'image et le réel, l'outil photographique donnant l'impression de trouver ce qu'au fond le point de vue et l'outil produisent. Comme pour le fétichiste (mais tout photographe l'est sans doute), cadrer c'est exclure, vider l'espace et rejeter au dehors ce qu'on veut en ignorer; en contrepartie de saturer le cadre par ce qu'on y met. Multipliant les réverbérations entre formes, couleurs et plans spatiaux. Le savoir-faire de ses compositions, son habileté des cadres, son oeil pictural ouvrent paradoxalement sur une véritable vision cubiste. Non pas que ses images ressemblent tellement aux tableaux de Juan Gris mais elles en réactivent l'expérience de la vision.

Ce vertige du regard est surtout un vertige du point de vue, la prise de vue devenant un éclair visionnaire qui déplace le corps de sa place réelle pour le faire basculer dans l'écrasement total sur la surface des choses qui se glisse ensuite dans les creux, les plis et les brisures des objets. L'oeil n'est plus qu'une interface mobile qui permet de croire dans l'instant de la prise de vue et de sa fixation ultérieure sur papier que notre corps est devant nous et qu'il épouse ou caresse l'objet regardé, il EST cet objet. Les vitrines ou les habitacles automobiles, quant à eux semblent offrir un espace, réduit certes, où le regard peut se promener, où il tourne et rebondit en vase clos. La plupart de ses photographies organisent ainsi des passages entre ces deux types de vision : caressante ou dilatatoire.

Cédrick Eymenier, diplomé des Beaux-arts de Nîmes a régulièrement publié ces photographies dans le Purple Journal. Certains de ces films seront d’ailleurs projetés le 6 mai dans le cadre de l’exposition de Dominique Gonzalez-Foerster au Musée D’art Moderne de la ville de Paris.